Circatrices

Par Éric Charlebois

Je suis né avec le vertige.
La chute vers l’inconnu.
L’angoisse de vivre.
L’asthme du trop-plein.
Je suis né sans savoir comment faire ;
c’est pourquoi « naître » est un verbe d’état.

J’ai cessé de craindre la mort puisque
je ne peux comprendre la naissance.

Circatrices, c’est la poésie de ceux qui veulent mal l’entendre. À peu près et de loin. La déraison d’être, l’autre autre, l’orgasme annihilateur du moindre souffle, le désir d’indifférence, le je régénérateur, le moi enclavé, le vous à fleur de peau cisaillée, tous immunisent, comme des leucocytes, contre la plaie de la distance, et contre la lésion laissée par l’espoir pendant la vie qui meurt en réaction acuponctuelle. Des récits d’amour et de mort ; une nécromanie, ainsipide, en quête d’une tendre fin. Le papier est tissu, au même titre que la peau. Le moindre mot l’ébrèche, le déchire, le stigmatise. Le papier coupe sous les ongles ; seul l’espace cicatrise.

La poésie ne doit pas exprimer les événements ; elle doit les créer et les circonscrire, sans limites. Entre déjà et peut-être, entre jamais et sans doute, entre je et vous, il y a l’instant.

Dans ce recueil publié aux Éditions David, où s’engouffrent 24 poèmes aux titres hétéroclites, tels Parangoniomaitre, Esthétoscope, Zeppelingles à linge ou encore Fenaître, Éric Charlebois mêle à la fois strophes et prose pour, en général, mieux jouer avec les contrastes de la vie et de la mort, de l’ombre et de la lumière: «J’étais grotte; tu m’as tout irrigué. /J’étais joallier (sic); je ne t ‘ai pas cisaillée ;/précieuse tu n’étais pas/pierre. » Ou encore: «J’ai cessé de craindre la mort puisque/je ne peux comprendre la naissance.»

André Magny, LeDroit, 15-16 mars 2008

«Je suis né avec le vertige. / La chute vers l’inconnu. / L’angoisse de vivre. / L’asthme du trop-plein. Je suis né sans savoir comment faire / c’est pourquoi naître est un verbe d’état.» Ce recueil de poésie qu’on peut percevoir, en un sens, comme un parchemin zébré de cicatrices intérieures, navigue entre le « je » et le « nous », et est traversé par l’angoisse torturée, mais aussi par l’envie de vivre pleinement malgré les blessures. Circatrices est le cinquième titre d’Éric Charlebois, considéré comme l’un des auteurs phares de la relève en poésie franco-ontarienne, et dont les trois recueils précédents ont été salués par la critique.

Le libraire, avril-mai 2008 (https://www.lelibraire.org/media/numeros/Libraire-46.pdf)

Et notre « jeune poète », de quoi parle-t-il ? Quelle est sa « voix » ? Celle-ci crie une révolte langagière curieusement esthétisée, liée à une condition humaine jugée plus qu’absurde… Elle dévoile un « mal de vivre » perpétuel parfois transfiguré par une écriture qui tente de tout s’approprier. L’être humain n’apparaît que comme un simple « survivant » abandonné de Dieu, du monde… À cet égard, notre poète est presque méchant « Nous faisons partie de la même / gangue. / Je crache cru / la vérité dure et / drue ». Et on a aussi l’impression que l’humanité détruit tout ce qui pourrait la faire belle. malgré quelques inévitables moments de grâce : tout cela en l’absence d’un « mystère de l’humain » à découvrir. « Pourquoi chercher le mystère de l’univers ? Pour se suicider plus tranquillement ? » Même que notre liberté serait trompeuse, une bizarre invention… Nous sommes LÀ, sur terre, sans vivre – figés, inertes, inanimés et délirants de non-sens. Voilà !

Toujours est-il que ce « jeune poète » est lucide ; il hérite de cette poésie à connotation existentielle – dévoilant notre « inhumanité », ce « Tout qui n’est pas vrai », comme l’a jadis évoqué Adorno -, qui a coloré une période de notre histoire littéraire.

Gilles Côté, Nuit blanche, no 111, juillet/août/septembre 2008, p. 30.

Genre littéraire
Poésie
Éditeur
Éditions David
Année de parution
2008